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SCF #1 : Sans Cuisine Fixe n°1

Projet de Recherches Esthétiques : Hospitalité et pauvreté

J’espère ici, tenter de vous rappeler par une esthétique modeste à la réalité, à la dignité humaine.
Sans Cuisine Fixe est un moyen d’explorer une solitude partagée, de vivre un moment en commun. Atour de la cuisine, du repas. L’idée ici serait de poser le regard sur ce qu’on ne veut pas voir ou ce que l’on ne voit pas. Tenter de changer de regard, de fouiller à l’intérieur de soi, être attentif et faire confiance au monde pour en découvrir sa beauté.
Il est possible de penser également à une variante : Cuisine Sans Frontières. Dans un sens d’explosion des sphères culturelles, sociales, de repoussement des frontières quotidiennes ou d’habitudes par la recherche d'une cuisine et de partenaires pour la préparation d’un repas et pour manger ce dîner. Cela à une échelle hyperlocal.

Dans une société de lumière, du visible, qui éclaire tout et relève toutes les traces de notre existence (soi-disant), que reste-il de l’ombre ? Où est-elle ? Sous quelle forme ? Ne serait-il pas judicieux de se pencher sur ce concept d’obscurité que l’on écarte ? Cette obscurité que l’on pousse loin de soi, comme si l’on se fermait à l’étranger, à la différence, au subjectif - sans laisser de place au mystère, ni considérer l’incertitude comme une force, comme un moyen de prendre le temps. Comment laisser place à l’inconnu, à l’autre ? Comment faire de la place, plutôt que faire sa place ?
Simplement passons le pas. C’est dans cette dynamique réflexive qu’est naît la volonté d’expérimenter cette rencontre, de créer de l’existence. Une rencontre de moyens sans fin, inutile mais qui pourtant fait vibrer la vie, fait raisonner une nature profonde.
Précarité, mal-être, insalubrité, hospitalité, générosité, animosité, surprise, humanité, joie, double-hôte, écosystème d’échange hospitalier et de partage, intimité, humilité.
Voici un corpus de mots qui pourrait définir cette rencontre.

histoire complète

mélodie improvisée comme raccourci poétique

Un repas cuisiné ensemble et partagé mais pas que… La véritable création produite par cette rencontre est cette balade musicale improvisée à la fin du repas, dehors dans la rue. Qui exprime poétiquement les échanges et les partages qui ont émergé de la provocation de cet espace, ce temps d’hospitalité.

réflexions et recherche esthétique

Un hôte qui reçoit, accueil, s’ouvre et un hôte qui donne, apporte et offre. Ici dans un contexte de précarité forte, on peut dire que l’on est sans avoir, mais sans être pauvre. On ne parlera pas alors d’une pauvreté comme principe conventionnel, de non propriété mais bien d’une pauvreté du geste, d’une richesse de la relation - de l’existence qui permettrait de se recentrer sur l’essentiel, d’être disponible au monde. La pauvreté serait peut-être un moyen directe et efficace pour être en résonance avec son environnement, à la fois scientifiquement et spirituellement.

Provoquer l’hospitalité chez soi et chez l’autre. Faire un pas de côté pour sortir de sa zone de confort et découvrir l’étranger, l’inconnu, explorer l’autre par la rencontre. Le risque lorsque l’on habite, c’est de tomber des habitudes (habitus) - de s’engourdir et de passer à côté de la possibilité d’exister. L’idée serait plutôt d’habiter comme une habération, de se mettre en danger, au dehors, devant la façade de son lieu de vie, « être présent au monde et à autrui ». Cela pose également la question de la vagilité, d’être des habitants mobiles de nos sociétés, de la Terre.
Ceux sont les habitants qui font la ville, ici il faut considérer "habiter" comme une somme complexe des différentes pratiques quotidiennes. C’est pour cela que l’on peut voir deux chemins apparaître et se différencier, s’écarter. Celui qui fait confiance au rationalisme, au progrès et aux nouvelles technologies, au verre transparent et à l’acier inchangeant. Pour conserver un certain confort et mode de vie, au risque de se retrouver hors-sol. Puis celui qui est attentif aux signaux faibles et qui fait confiance à l’humain et au vivre/faire ensemble, dans sa diversité, sa complexité et sa fragilité, au bois vivant et au mouvement. Pour entrevoir de belles alternatives, pour entamer un voyage vers des valeurs terrestres. Il ne s’agit pourtant pas de choisir l’un ou l’autre chemin. Mais plutôt d’enfin s’autoriser à rêver, à construire ensemble des utopies, des récits pour tendre ensemble vers des horizons communs. Des présents et futurs possibles où l’on pourra renouer avec une esthétique perdue, l’esthétique comme moyen sans fin, comme vecteur de lien entre les crises sociales et écologiques. Pourrait-on également parler d’éthique ?
Ne serait-il pas temps d'agir ?!

post scriptum

Au sujet des photographies, le flou est réalisé pour mettre en avant le repas comme production, résultat de cette rencontre en double hospitalité ou hospitalité réciproque. Comme si cet évènement était surréaliste, improbable et qui sortirait de l’ordinaire, en créant de nouveaux types de relations aux autres. Le flou est également présent pour préserver l’intimité des personnes rencontrées.

références

Boullay, S. (s. d.). Le Moyen Âge : Temps obscurs ou siècles d’innovations ? [Billet]. Consulté 4 décembre 2019, à l’adresse L’Histoire à la BnF website: https://histoirebnf.hypotheses.org/1378

La fin de l’hospitalité : L’Europe, terre d’asile ? (s. d.). Consulté 4 décembre 2019, à l’adresse France Culture website: https://www.franceculture.fr/oeuvre/la-fin-de-lhospitalite

Magnani, E. (2002). Le don au moyen âge. Revue du MAUSS, no 19(1), 309‑322.

Martignoni, A. (2011). «Dedans et dehors» : Confréries, charité et espace urbain. Réseaux de solidarité confraternels au Frioul à la fin du Moyen Âge. Mélanges de l’École française de Rome - Moyen Âge, (123‑1), 23‑31. https://doi.org/10.4000/mefrm.656

Andre Gregory, Wallace Shawn et Louis Malle, 1981. My Dinner With André.

L’hospitalité renvoie à une tradition séculaire, aussi ancienne que l’humanité, celle de la protection de celui qui accueille – comme hôte – chez soi (hestia), y compris son pire ennemi (hosties). De l’antiquité à nos jours, l’hospitalité repose ainsi sur des formes de don de soi, avec le souci de l’autre, sans condition ou attente en contrepartie. Mais elle pose simultanément la figure de l’étranger, celui qui interroge et embarrasse – potentiellement susceptible de provoquer l’hostilité à son égard. On peut penser aux migrants mais tout aussi aux exclus de l’intérieur, personnes en situation de handicap, précaires et autres « zonards ». C’est de toute évidence un thème qui nous concerne et nous implique tous, et qui agit comme un révélateur de notre capacité à faire de la place à l’autre, à modifier nos propres représentations et pratiques sociales, à faire société, à faire corps.
Diversité n°196, L’hospitalité #2, Canopé éditions. Sept-Déc 2019

« Liberté, égalité, fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont là les trois marches du perron suprême. La liberté, c’est le droit, l’égalité c’est le fait, la fraternité, c’est le devoir. Tout l’homme est là… Les heureux doivent avoir pour malheur les malheureux ; L’égoïsme social est un commencement de sépulcre ; voulons-nous vivre, mêlons nos coeurs, et soyons l’immense genre humain… Tout ce qui souffre accuse, tout ce qui pleure dans l’individu saigne dans la société, personne n’est tout seul, toutes les fibres vivantes travaillent ensemble et se confondent, les petits doivent sacrés aux grands, et c’est du droit de tous les faibles que se compose le devoir de tous les forts. J’ai dit. »
Victor Hugo, Le droit et la loi, 1875